

LE CHRIST REDEMPTEUR, PAR YASSEN SAVOV.
Published on:
14 Feb 2017
Se racheter
Sauver (une personne ou une âme) d’un état de culpabilité et de ses conséquences
Restaurer l’honneur, la valeur ou la réputation de
Atténuer (une erreur)
Compenser les erreurs ou les aspects négatifs de (quelque chose)
C’est en 1992 qu’un pilote inconnu de Rio, après une série de mauvais choix tactiques et d’atterrissages prématurés lors d’une compétition locale, éprouva le besoin, quasi religieux, de se racheter. Il escalada ainsi la colline du Corcovado, contempla la splendeur de la ville, de l’océan, de la jungle et des rochers qu’il dominait ; étendit cérémonieusement les bras et releva le menton plein de transpiration en s’exclamant : «Jésus, aidez-moi à me racheter ». Inutile de dire qu’il en avait marre de perdre (sans compter l’escalade). C’est ainsi que, bras écartés, il se fit, ainsi qu’à Dieu, une promesse. Il redescendit ensuite en ville pour rejoindre tous les autres pilotes infortunés souffrant du syndrome de l’échec et occupant le bas des tableaux de compétition. Cette nuit-là, en dépensant leurs ultimes fonds dans plus de tournées de cachaça que l’histoire peut en compter, ils esquissèrent l’ébauche de leur projet de rachat mental. Le jour suivant, ils menèrent une bataille épique contre leur gueule de bois et leurs problèmes d’équilibre gravitationnel. Ils devaient en effet transporter 635 tonnes de béton au sommet du Corcovado, pour une statue du Christ si belle et immense qu’ils ne subiraient plus jamais d’échec en compétition.
Neuf ans plus tard, les 38 mètres de travaux étaient achevés. Ce jour-là, ils se tinrent tous au pied de leur Jésus pendant que ce premier pilote anonyme se dressait en écartant les bras et en clamant prophétiquement à l’adresse de la ville en dessous et du Dieu au-dessus : « Enfin, nous y sommes enfin ! Dieu soit loué ! Nous y sommes.» En inspirant avec exaltation, les yeux grand ouverts dans un moment prophétique que seuls peuvent comprendre les pilotes n’ayant jamais atteint le goal, il poursuivit son discours historique plagié plus tard (en avril 2016 si l’on veut être précis) par un président américain moins fictif mais encore plus ridicule que cette histoire : « Les gars, nous allons changer la face de choses et nous allons de nouveau être gagnants. Nous allons tellement gagner. Nous allons gagner à tous les niveaux. Nous allons gagner en cross, nous allons gagner en acro et nous gagnerons même dans cette discipline est-européenne stupide qui s’appelle –comment, déjà- ah, ouais : l’atterro de précision. Nous allons gagner dans toutes les disciplines ; nous allons tellement gagner que vous serez peut-être fatigués de gagner. Et vous direz : pitié, pitié, trop de victoires ; on n’en peut plus ; Jésus, trop, c’est trop ! » Et il répondra : «Non, non, ça n’est pas trop, et vous devez continuer à gagner. Vous allez gagner encore et encore. Je vous aime, Rio ! Allez-y et volez ! Vous serez tellement heureux ! Je vous aime ! ». Le pilote anonyme prophétisa et l’assemblée des maçons volants du Christ l’acclama en redescendant de la colline pour se saisir de leurs ailes.
Avec 16 ans de prémonition par rapport à ma performance à la super finale de la PWC, je me sentais solidaire de ces pionniers. Car je me trouvais bien bas dans la seconde moitié du classement ; mon cœur cherchant désespérément à se racheter. Je partis donc pour Christo et tout d’un coup, grâce au ciel, tout alla enfin mieux ! En enroulant comme une petite mouche heureuse, autour d’un phare, Dieu murmura dans mon oreille si bien que je compris ce que je savais déjà dans ses moments d’angoisse, mais que j’avais commencé à oublier. Tout allait pour le mieux dans le jardin. Nous sommes les bienheureux qui réalisons notre rêve. Encore un tour. Je devrais mieux respecter le vol de groupe et éviter d’être trop indépendant (tout spécialement sur des sites aussi délicats et imprévisibles que Valadares). Des choses simples en vérité.
Merci Jésus d’avoir été présent pour moi et mes amis ce jour-là ; votre statue nous a frappés tout autant que la religion au milieu de votre éden surréaliste, ce jardin de mer, de rocher, de jungle et de ville si belle que vous devez être plongé dans le bonheur là-haut. Nous vous avons donc rejoint.
Les gens qui ne volent pas m’ont souvent demandé : « quel est le plus beau site sur lequel vous avez volé ? » Ma réponse habituelle est qu’il n’y a pas vraiment de « meilleur » site. C’est un peu comme si on me demandait quelle est la plus belle femme du monde ? Cette femme n’existe pas. Mais si je dois choisir, je choisis Saint André des Alpes pour la course pure et Rio de Janeiro pour sa beauté. Pendant la dernière saison, j’ai eu la chance de voler sur les deux sites pour la deuxième fois de ma vie ; et ils m’ont comblé. Sauf que cette fois ci, je me suis débrouillé pour voler aussi sur le super site de Cristo, ça n’était pas pour moi un objectif absolument essentiel ; j’ai juste pensé que cela serait cool d’y aller. Mais lorsque je me suis glissé très haut entre les beaux cumulus, sa statue grandissant sur le fond de la jungle, des monolithes granitiques, des baies, des iles et des plages, j’ai pu le voir devant moi, telle la sculpture dorée veillant sa vaste cité, bras ouverts, serein. C’est à ce moment que j’ai compris.
Un ravissement. Nul besoin d’être chrétien ; mais je me serais converti à l’instant.
Je ne me suis pas converti. J’étais toujours le super finaliste perdant athée Yassen en quête de rédemption et à présent, je me rachetais à fond ! Yes, Cristo ! Yes.
Je tournais à présent autour de lui depuis ses pieds jusqu’à sa tête et de la tête au pied, dans le sens des aiguilles d’une montre et dans l’autre sens. Je l’enveloppais ainsi d’un câlin infatigable à la façon de quelqu’un qui ne veut prodiguer un câlin que d’une seule manière : continuer à le prodiguer. Je le câlinais avec les bras d’un athée incroyant qui voyait cependant Dieu et ressentait à ce moment précis non pas ce que le Nouveau Testament indique au sujet d’un fils de Dieu impalpable, mais ce que toute personne sensuelle ressent fatalement au cours de sa vie dans ces rares mais magiques moments de vérité. Toute la beauté de ce monde est Une et tout est divin. Celui qui voit cela, qui le ressent et qui le sent est béni. Comme nous l’étions tous, ce jour, en volant autour de Cristo.
P.S. Si jamais vous rencontrez un problème par exemple rater misérablement une super finale de Coupe du Monde au Brésil, je vous suggère de vous tourner vers cette statue pour demander de l’aide. Souvenez-vous qu’il est perché sur ce rocher pour cela, pour aider un pilote et nous permettre de retrouver une pleine forme.
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